| XVII - Questions financières.
Pendant que Rouletabille restait silencieux, Vladimir entreprit un grand éloge de Constantinople, qu’il connaissait à fond et dont il vanta l’aspect enchanteur. « Y a-t-il une bonne brasserie ? demanda La Candeur. – Oh ! excellente !… À Constantinople, on trouve tout ce que l’on veut !… – Je n’en demande pas tant, répliqua La Candeur ; si je pouvais avoir seulement un bon bifteck aux pommes et un bon demi !… – Encore faut-il avoir de quoi le payer ! dit Rouletabille, qui se rappelait soudain, au moment d'entrer dans la ville, qu’ils n’avaient plus le sou. – Ah ! ça n’est pas l’argent qui manque ! exprima La Candeur d’un air assez dégagé. – Tout de même, fit Rouletabille, en attendant que le journal nous en envoie, je ne sais pas comment nous allons faire, car il nous en faut tout de suite, pour les dépêches !… – T’occupe pas de ça ! reprit La Candeur. J’ai deux mille francs. – Tu as deux mille francs ?… – Je comprends… s’écria joyeusement Vladimir. Tu les auras trouvés dans les poches d’Athanase. – Oh ! fit Rouletabille en arrêtant son cheval, ça n’est pas possible !… – Ce jeune Slave me dégoûte ! fit La Candeur en se détournant de Vladimir. – Mais enfin qu’est-ce que c’est que ces deux mille francs-là ? demanda Rouletabille. – Eh bien, ce sont les deux mille francs de M. Priski. – Les deux mille francs de M. Priski ! Qu’est-ce que tu me racontes encore là ? – L’exacte vérité… Tu sais bien que M. Priski a, à Kirk-Kilissé, donné mille francs à Vladimir, auxquels je n’avais pas voulu toucher ?… – Oui, mais ces mille francs, Vladimir les a perdus à Haïjarboli ! – Attends. Tu te rappelles aussi qu’à Stara-Zagora, M. Priski a voulu me donner les autres mille francs qu’il nous devait encore ?… – Parfaitement, mais tu les lui as honnêtement refusés. – Certes !… Et M. Priski n’a du reste pas insisté, mais quand je le revis le lendemain, je lui dis : « – Monsieur Priski, je vous ai refusé les mille francs parce qu’il a toujours été entendu que je ne les toucherais pas, moi !… Mais Vladimir y compte bien, lui ! Glissez-les donc dans une enveloppe et je remettrai ces mille francs, moi-même, à Vladimir. » « M. Priski, qui est un honnête homme et qui ne voulait pas manquer à sa parole à la veille d’entrer au couvent, m’a répondu : « – Chose promise, chose due : les voilà ! » « Je mis l’enveloppe dans ma poche, me disant qu’à la première occasion, je donnerais cet argent à Vladimir ; mais de cela je ne me pressai point, sachant que Vladimir avait déjà mille francs et le connaissant fort dépensier ! Or, ce soir, comme Vladimir avait perdu mille francs au jeu avec tous ces Bulgares et qu’il paraissait tout désolé, je sortis l’enveloppe de ma poche pour la lui tendre. Seulement, dans ce moment, Tondor arriva et survint le tumulte que tu sais !… Vladimir le suivit hors de la cour… Les trois quarts des joueurs se dispersèrent alors que l’officier venait de me crier : « Prenez donc la banque, vous ! »… Ce défi arrivait dans une minute où je me faisais de tristes réflexions sur la nécessité de laisser aux Bulgares un argent qui aurait été si bien dans notre poche. Je ne résistai point au désir de regagner le tout : et c’est ce qui arriva… L’officier revint, après votre départ, et la partie reprit. Et, avec les mille francs de Vladimir, j’ai regagné les mille francs que nous avions perdus ! – Hourra ! s’écria Vladimir. – C’est alors ce qui explique ton retard, La Candeur, dit Rouletabille, qui était lui-même enchanté. – Justement !… – Tu n’as pas été long à regagner cet argent !… – Les Bulgares s’étaient emballés sur les carrés du 22 !… Or, avec cette montre, je sais très bien comment il faut faire pour ne point faire sortir les carrés du 22… – Ses deux cocottes ! dit Vladimir. – C’est la première fois que ces dames me portent bonheur », répondit La Candeur.
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