Les Aventures de Rouletabille

| XXIII - Sous l’eau et dans la nuit.

  

 

 

 
Dire ce qui se passa à cette minute précise dans l’âme de Rouletabille serait difficile.
 
D’abord il ne comprit pas.
 
Toute cette nuit après toute cette lumière ! Pourquoi ? Pourquoi tous ces trésors disparaissaient-ils au moment même qu’il venait de les toucher ?
 
Était-il le jouet de quelque méchant génie qui, dans le pays des Mille et Une Nuits, s’amusait de lui et faisait passer sous ses yeux d’illusoires visions ?
 
Ce fut donc sa première pensée : l’inexistence de cela.
 
Mais cependant, comme, dans un geste spontané, il continuait de toucher, dans la nuit, ces richesses que la nuit semblait vouloir lui prendre, il connut qu’il n’avait pas rêvé.
 
Le mur était bien là, et les trous dans le mur, et les joyaux et l’or, sous ses doigts, et les portes de marbre auxquelles il se heurtait.
 
Alors sa main descendit à sa ceinture et il toucha l’appareil électrique brisé.
 
C’était un accident tout naturel dont il ne comprit pas tout de suite l’importance, mais qui cependant lui donna le frisson, car sa situation devenait redoutable au fond de cette eau et au fond de cette nuit.
 
Cependant il ne saisit point tout de suite la possibilité d’une catastrophe. Il se raidit contre la peur et appela à lui toute son intelligence, toute sa lucidité. En somme, il n’était point perdu au centre d’une chose inconnue. Il était dans une chambre dont il connaissait le chemin.
 
Il lui fallait revenir sur ses pas, voilà tout… sans perdre la tête, en suivant très exactement le mur… Pour venir jusque-là, il avait compté deux corridors avant le corridor de la pièce d’eau.
 
Il s’appuya au mur et, au pied, chercha son pic qui pouvait lui être utile. Sa jambe en heurta le manche de bois, qui se dressait flottant entre deux eaux. Il le saisit et alors commença la marche à rebours.
 
Ah ! voilà le premier couloir.
 
Là, il lâcha le mur et, orientant avec soin ses semelles de plomb, il s’avança, les bras tendus.
 
Il se félicita d’atteindre bientôt l’autre angle du mur, de l’autre côté de l’entrée du couloir… Et il continua, le long du mur, sa marche tâtonnante.
 
Voici le second corridor… Il marche… il marche encore…
 
Et voici le troisième !…
 
Soudain il s’arrête et une angoisse inexprimable lui étreint le cœur… Il pense qu’il n’y a aucune raison pour que ce troisième couloir-là soit le bon !…
 
En effet, en sortant du couloir de la pièce d’eau, il est entré tout droit dans la salle des trésors, jusqu’en son milieu, et puis il a obliqué à gauche jusqu’à ce qu’il rencontrât le mur ; mais entre cette partie du mur qu’il atteignit et le corridor d’entrée, qui lui dit qu’il n’y a point d’entrée, qui lui dit qu’il n’y a point d’autres corridors !… Doit-il prendre celui-ci ? Doit-il l’éviter ? S’il le prend, ne trouvera-t-il point à son extrémité un nouveau labyrinthe et la mort ?… S’il l’évite, ne risque-t-il point de laisser derrière lui la seule issue possible qu’il ne retrouvera peut-être jamais plus ?…
 
Hésitation terrible et puis résolution farouche…
 
Il marche… Il avance dans le noir liquide… Il s’enfonce dans le corridor… Il s’arrête…
 
Il tâte de son pied l’eau autour de lui, dans l’espérance de heurter la porte qui, retenue par son gond central, s’ouvre au milieu du corridor, sur un plan parallèle aux murs… Mais il ne sent rien !… rien que le mur qu’une de ses mains ne lâche pas… et il glisse le long du mur…
 
Et tout à coup sa main frémit… Un angle… une nouvelle pièce… Est-ce la pièce d’eau ?…
 
Non ! sans quoi il eût rencontré la porte… mais peut-être est-il passé à côté de la porte sans la toucher… Il se retourne, oblique un peu sur sa droite, lâche le mur, revient sur ses pas…
 
Maintenant, il a hâte de revenir dans la chambre du trésor, car il faut sortir de ce couloir, qui conduit il ne sait où…
 
L’angle d’un mur… Mon Dieu ! il commence à s’y perdre !… Il a bien cru qu’il revenait sur ses pas… S’il s’était trompé, ce serait trop terrible… S’il ne s’est pas trompé, il peut espérer que, rentré dans la chambre du trésor, le prochain corridor sera le bon !
 
Il marche… il monte, rencontrant des angles… et maintenant il ne sait plus !
 
Non, il ne sait plus s’il est dans une pièce dont il touche les angles, ou s’il entre dans un corridor, ou s’il en sort…
 
Il ne sait plus !… Il ne sait plus !…
 
Il sait seulement qu’il n’est point dans la vasque du jardin d’hiver, sans quoi ses mains glisseraient sur des pierres circulaires, et celles-ci sont plates… Il veut savoir absolument s’il est dans un corridor… Pour cela, il abandonne le mur qu’il tient pour se diriger en face… Il marche… il marche… rien !…
 
Ses mains ne touchent plus à rien…
 
Alors il retourne sur ses pas.
 
Mais il n’arrive plus à retrouver le mur !
 
Ses oreilles commencent à tinter furieusement. Est-ce le manque d’air qui commence à se faire sentir ? ou la folie qui arrive avec ses grelots ?…